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Tuesday, August 14, 2012

Hachette, Tor, les DRMs (et exclusivité géographique)

J'ai passé mes vacances d'été et ait manqué l'histoire de LendInk mais juste pour mon retour en voici une autre ! Avec ça, si je ne remets pas le pied à l'étrier, c'est problématique...

Si vous êtes connectés et vous intéressez à l'actualité des ebooks, vous n'aurez pas manqué aujourd'hui de tomber sur cette petite nouvelle du jour : Hachette encourage les auteurs qu'ils publient à exiger des DRMs auprès des autres éditeurs.

Levée par Cory Doctorow en anglais, l'affaire est relayé en français par exemple chez IDBOOX et Actualitte.

Une petite précision préalable : la lettre ayant mis à jour cette politique est signée non pas par le PDG d' Hachette UK, mais par celle de Little Brown, une filiale d'Hachette UK. Pour autant, cette petite précision ne change pas grand chose au fond de l'affaire tant elle est dans le prolongement logique de la politique "protectionniste" d'Hachette.

Préambule 

Je vais tout de même faire une récap. de l'histoire, ne serait-ce que pour en faire quelque chose de compréhensibles pour les non-initiés.

(En choeur : "Oui, raconte nous une histoire, Père Castor !")

Au début étaient l'auteur et le lecteur, puis vinrent l'imprimeur et un jour l'éditeur. L'éditeur décida d'aider l'auteur à trouver un imprimeur et des lecteurs, en échange de quoi il prenait rémunération.

Un beau jour, et avec l'essor du transport, l'auteur se rendit compte que le rayon d'action d'un éditeur était finalement limité, et décida de "vendre" son livre non plus à un éditeur, mais à des éditeurs multiples, répartis géographiquement. Par exemple pour un auteur anglais, un éditeur pour l'Amérique du nord, et un autre pour le reste des pays anglophones.

C'est ainsi que plusieurs versions d'un même livres existent simultanément et dans la même langue. Chez feu "Brentano's" par exemple (librairie anglaise de Paris), on pouvait trouver simultanément la version anglaise et l'américaine de certains livres.

Outre l'affaire qui nous préoccupe aujourd'hui, ce petit détail complique pas mal la vie de tout le monde dès qu'on l'applique au numérique : Les ebooks ont bien plus de facilité à traverser les frontières que leur contrepartie papier, ce qui d'ailleurs force les e-libraires à certains expédients techniques pour restreindre la vente des livres aux lecteurs "autorisés".

Après ce petit exposé, (Réveillez vous, les ronfleurs du dernier rang !) nous replongeons donc dans l'affaire : un auteur signe un même livre (en l'occurrence plusieurs, mais un seul suffira) chez Tor (territoire américain), et chez Little Brown (UK). Tor décide d'arrêter d'utiliser les DRMs sur les ebooks, alors que leur utilisation est absolument impérative selon la politique d'Hachette (maison mère de Little Brown).

Entrons ensemble dans la cinquième dimension 


Etant donné que les DRMs sont l'arme ultime contre les pirates, (c'est Adobe qui le dit), il va de soit pour Hachette (qui connait l'Histoire) que toute faiblesse dans la ligne de défense sera une brèche par laquelle les pirates s'engouffreront. Et la faiblesse ils savent où elle est : c'est l'auteur ! Qui ose laisser d'autres éditeurs vendre le livre sans DRM !

Si le livre est proposé ailleurs sans DRM, il va de soi qu'il sera piraté et donc qu'au lieu d'acheter leur exemplaire chez Hachette, les lecteurs iront le chercher chez les pirates. (Si on était taquin, on pourrait aussi imaginer que les lecteurs, ne souhaitant pas acheter la version bridée, préfèrent s'approvisionner chez le concurrent Tor).

Il est donc nécessaire et urgent de combler cette brèche. Et pour cela une seule solution : imposer à tous les éditeurs publiant ce livre de le verrouiller. Par malchance, Hachette n'ayant pas le pouvoir d'imposer ses vues directement à ses concurrents, il est donc nécessaire de passer par un intermédiaire décidément gênant : l'auteur.

On lui envoie donc une lettre lui demandant d'exiger à Tor d'utiliser des DRMs. De plus, on demande au service juridique de trouver les formulations nécessaires pour que l'auteur ait l'obligation d'imposer des DRMs à son éditeur. Enfin, au niveau des acquisition de livres, on fait part de cette nouvelle condition sine-qua-non avant signature. Pour un auteur espérant travailler avec cet éditeur, il va de soi que c'est déterminant.

Petit entracte comique

Profitons de cette pause dans l'action pour lancer un petit concours : qui m'aidera à traduire l'expression "casual infringement" gagnera ma considération.

Pour le mettre dans son contexte, le voici :  “In the context of casual infringement, easy file sharing, and as a part of an overall copyright infringement strategy,” the Hachette letter asserts, “DRM is proving effective.”

Je sais bien ce que signifie l'expression : le "casual infringement" est l'action pour un utilisateur "lambda" (donc pas nous les geeks) de partager un fichier sans se poser de questions, par exemple en le passant à un collègue de bureau ou un copain (habituellement accompagné de la mention "tiens, tu devrais essayer ça, c'est bien, ça devrait te plaire."). Mon problème c'est de la traduire... 

Devant une si bonne blague, je ne peut m'empêcher faire une tentative, même imparfaite :

La lettre soutient : "Dans le contexte de la contrefaçon désinvolte (casual infringement), de l'échange facile de fichiers facile et dans le cadre de la lutte contre les contrefaçons, les DRMs se montrent efficaces."

Retour aux choses sérieuses

Bon, trêve de plaisanteries (vous savez ce que je pense de l'efficacité des DRMs), revenons au coeur de l'histoire. En fait, nous avons là un éditeur qui force ses propres choix stratégiques aux autres éditeurs par l'intermédiaire de l'auteur.

Pour ramener au papier, c'est un peu comme si un éditeur imposait contractuellement à ses auteurs d'exiger des couvertures noires pour les livres, parce que c'est ses propres choix éditoriaux, ou bien de passer par le même sous-traitant (Adobe) pour certaines étapes de la chaine de publication.

L'expression consacrée est "forcer la main". Mais là on en est plus à la clef de bras, au minimum.

Je ne sais pas s'ils se rendent compte à quel point cette stratégie va rendre encore plus suspecte  les utilisations de DRMs...

7 comments:

  1. Qu'un éditeur décide de verrouiller ses ouvrages, c'est un choix. Un mauvais, à mon avis, mais qui suis-je pour m'élever contre les décisions personnelles d'un commerçant?

    Qu'un éditeur veuille imposer ses méthodes, par contre me scandalise. Libre à moi si je le désire ainsi de "perdre" des ventes. Je m'estime gagnant, qu'on achète mes textes ou que l'on me les vole. Je ne me sentirais qu'entravé, et aucunement en sécurité chez un éditeur qui chercherait à me priver de ces joies simples.

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    1. Et oui, c'est une mauvaise habitude que certains éditeurs ont pris : imposer leurs choix aux auteurs...

      Et je pense que vous avez la bonne vision des choses.
      Pendant que certains s'échinent à tenter d'empêcher toute diffusion non payante des oeuvres, d'autres au contraire respectent leur public et fans.

      Par exemple aujourd'hui ce très bel hommage d'un artiste :
      http://www.nikopik.com/2012/08/quand-un-artiste-reprend-les-versions-pirates-de-ses-fans-pour-en-faire-un-oeuvre-magnifique.html

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  2. casual infringement = infraction accidentelle (ou aussi lorsque le contrevenant est de bonne foi).

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    1. Ce qui impliquerai que le contrevenant serait de bonne foi, ce qui n'est pas le cas avec la VO ... mais merci pour la tentative ;)

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  4. Moi aussi j'étais partie sur l'idée d'infraction "involontaire" ou "accidentelle" avec le casual.

    Mais à la lumière de ce que tu réponds, on pourrait penser à une "infraction par négligence" par exemple (comme ils en parlent là : http://www.hadopi.fr/quest-ce-que-linfraction-de-negligence-caracterisee).

    Bon, je ne suis pas juriste, mais la question est intéressante !

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    1. Merci Lise, je m'attendais une réponse de ta part.

      Je crois que le terme Casual n'est pas en l'occurence utilisé dans un sens judiciaire, mais pas non plus dans une sens de négligence.

      En fait, je crois que j'ai eu un "gagnant" par Twitter, lorsque Kamui_57 m'a proposé "ordinaire", dans le même sens que dans ce titre de livre (que je conseille d'ailleurs même si bardé de DRMs) "Au guet-apens : Chroniques de la justice pénale ordinaire"
      http://librairie.immateriel.fr/fr/ebook/9782710368885/au-guet-apens

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