Friday, September 21, 2012

Et si on ne se trompait pas sur le livre numérique


Sur son blog, Erwann Gaucher (@egaucher) se demande aujourd'hui  "si on se trompait sur le livre numérique ?"

Voici ma réponse à sa question et ses arguments.

Coté pratique :


"Le stockage en grand nombre, si important pour la musique, ne joue pas vraiment pour le livre."
Euh, vous avez déjà géré un bibliothèque de plusieurs centaines (milliers) de livres ? Vous avez déjà essayé de les caser dans un petit appart ? Que ce soient des poches, des grands formats ou des livres d'art, demandez à la bibliothécaire ce qu'elle en pense...

"Qui a besoin de transporter avec soit 50, 100, 1000, 10 000 livres ? Qui est suffisamment absent de chez lui, éloigné assez longtemps de sa bibliothèque, pour avoir besoin d'emporter plus d'une dizaine de livres avec lui ?"

Moi. Je suis un gros lecteur, et à chaque fois que je suis parti en vacances, j'emmenais au moins 2-3 "pavés", et à chaque fois je suis revenu avec au moins le double.
Une liseuse à encre électronique est de ce point de vue là parfaite, prenant au maximum autant de place qu'un livre "grand format". Dans les transports en commun elle est moins encombrante qu'un de ces pavés dont je parlais par exemple. Vous parliez de tablettes à 600€, mais pour lire, une liseuse est bien plus adaptée et pour 4-8 fois moins chère. Il y a aussi l'apparition de nouvelles gammes de tablettes plus petites, moins lourdes et moins chères, un intermédiaire entre liseuse et tablette type IPad. Et si c'est encore trop encombrant, un smartphone dont l'achat est sans doute motivé pour d'autres raisons peut aussi faire l'affaire. Et perso, quand je prends les transports en communs, j'en vois, que ce soit pour jouer, écouter de la musique, ou autre. Pourquoi pas pour lire alors ?

Mais pourquoi l'emport d'une dizaine de livre devrait-elle être limitée aux grands trajets d'abord ? Avec le livre numérique, si vous ne vous sentez-plus dans l'humeur d'un livre, vous pouvez passer à un autre sans vous poser de question, il vous attendra pour plus tard, ou pour jamais. Vous finissez un livre ? Pas besoin d'en choisir un tout de suite et surcharger votre sac avant de partir, vous le choisirez au milieu de votre trajet, lorsque le moment sera venu. Au café, vous recommandez un livre à vos amis, lu il y a déjà un mois ? Vous pouvez le faire apparaitre, y compris avec vos annotations et marque pages, pas besoin d'attendre votre retour au domicile.


Maintenant, avant de passer au côté ludique, voyons l'argument prix...


Si l'on souhaite lire numérique dans un bon confort, le prix d'entrée peut aller de 0 --si l'on utilise la tablette ou le smartphone déjà acheté pour autre chose, je déconseille formellement le PC-- à 150€ pour une liseuse de bonne qualité et peut-être une couverture de protection. On peut aussi s'arrêter autour des 80-90 € avec une liseuse d'entrée de gamme. Dans ce cas, (sans doute préféré par les gros lecteurs), ce prix correspond à un gros cadeau d'anniversaire ou de noël, ou à quelques livres"grand formats". Un luxe, certes, mais un luxe qui reste abordable.

Ensuite, sur le prix des livres, il y a une très grosse distortion, portée par les gros éditeurs, qui exagèrent sur le prix des ebooks en les alignant, de près ou de loin, sur le prix de leur version papier. Il y a bien sûr les charges fixes, à répartir  entre tous les exemplaires vendus, papiers ou numérique, mais aussi un report artificiel des coûts papiers sur le prix des ebooks pour préserver les ventes du support traditionnel et sa chaîne.

A l'opposé, certaines maisons d'éditions "pure-players", voir même des auteurs auto-publiés, peuvent se permettre de proposer des prix bas, avec des frais fixes largement inférieurs et sans grosses immobilisations liées au papier, ou risque de "cannibalisation".

Dans l'ensemble, les petites structures qui se lancent dans le numérique adaptent leur offre à ce nouveau marché. Cette adaptation peut-être au niveau du prix, très rarement au delà des 13€ pour des "gros" romans et plus souvent largement en dessous des 10€, mais aussi dans la forme, avec des nouvelles courtes, la réapparition des feuilletons ou de séries, à des prix allant de moins d'un euro à 5-6€.

Le numérique permet également, avec des coûts "marginaux" presques nuls, de proposer des livres gratuits ou à un prix cassé qui amadouent les lecteurs et leur permettent de découvrir les oeuvres à moindre risque financier.  Là encore, les formats séries ou feuilletons se révèlent redoutables, avec un premier titre pour une bouchée de pain, et les suites autour des 3-5€. Si un lecteur adhère à un style, une intrigue, il est certain qu'il mettra le prix pour acheter la suite.

C'est là une technique de vente qui était quasi-impossible avec le papier. Pour faire un parallèle avec la musique, ça revient un peu à diffuser le livre "gratos" à la radio pour le vendre.


Sur ce, attaquons nous à l'aspect ludique.


"Le livre numérique, lui, peut-il être ludique ?"
Ben, oui. Au moins aussi ludique que le livre papier. Déjà, l'ergonomie dépasse les aspects logistiques évoqués dans la partie "pratique", pour effacer encore les contingences matérielles au profit de la lecture. Plus de pavés à porter à bout de bras, plus besoin des deux mains pour lire, la lecture est compatible avec la tartine ou le sandwich. Un doute sur un mot, et l'accès direct au dictionnaire vous hôte du moindre doute sur son sens.
Bref, la lecture réduite à un très simple appareil.
Certains puristes continuerons de s'accrocher au papier, à son odeur ou son toucher, mais tout comme le grand public est passé au CD après le vinyl, je parie qu'un grand nombre de lecteurs "ordinaires" passeront au numérique.

Et puis le numérique permet aussi une profondeur de catalogue inégalée jusqu'à présent, tant en quantité (quoiqu'encore limitée en Français par le  "fond" pas encore numérisé), qu'en qualité (même si plus diverse du fait des nombreux nouveaux entrants), qu'en diversité, avec des genres oubliés ou expérimentaux, délaissés car pas assez porteur pour la grande édition, mais aussi par une ouverture planétaire du fait de la tombée des distances géographiques par l'intermédiaire du net.

Entre cette nouvelle profondeur de catalogue, et les prix bas évoqués plus haut, les lecteurs (ou certains) peuvent trouver un aspect ludique à farfouiller dans le "tas" de nouveautés, à dialoguer autour etc.


De nombreuses personnes autour de moi, ayant sauté le pas de la lecture numérique, affirment (et c'est mon cas également) lire plus qu'auparavant. Et l'aspect ludique n'y est peut-être pas étranger.

Bon. Je sais, là, je n'ai parlé que des bons côtés de la lecture numérique, mais il y a aussi des côtés sombres pas évoqués ni dans l'article, ni dans ma réponse... Pour les différents points mentionnés ici, comme pour le coté obscur de l'ebook, n'hesitez pas à venir en discuter par mail, sur mon blog ou sur twitter...

4 comments:

  1. J'aimerais juste complémenter sur certains points:
    Pour ce qui est du stockage en grand nombre, quand on est un gros lecteur oui, ça prend vite énormément de place... et cela peut tourner au crève-coeur quand, suite à des circonstances particulières, vous devez déménager sans être en mesure d'emporter votre bibliothèque dans son intégralité. Histoire vécue. J'ai du revendre un grand nombre des livres en ma possession, ne conservant que ceux qui avaient une valeur sentimentale particulière. J'ai recommencé une bibliothèque depuis, mais comme je privilégie les nouvelles lectures... Alors que si j'avais tout eu en numérique, je n'aurais pas eu de soucis. Pour moi, l'idéal serait même de dissocier l'objet-livre du texte lui-même. En effet, même si j'aime certains de ces objets (qui peuvent comporter de magnifiques illus, être signés ou dédicacés, être des cadeaux, etc), dans la majorité des cas, c'est le texte qui m'intéresse. Ainsi, pouvoir acheter le texte uniquement (-> fichier) avec la possibilité de passer au besoin par une impression à la demande par exemple, ou acheter directement l'objet, mais avec un fichier numérique fourni servant de back-up du texte en cas de souci avec l'objet... Voilà des offres qui seraient attractives.
    Il ne faut pas non plus oublier que là où nous sommes limités avec des objets, dans l'espace physique, pour la classification, l'intertextualité, etc, les choses sont différentes dans l'espace numérique: nous sommes parfaitement capable d'exploiter les métadonnées, en combinaison avec la puissance de traitement de nos ordinateurs, pour rendre une "bibliothèque numérique" à la fois plus pratique et ludique que le format "réel". Je m'apprête à faire un trajet en transports ? Pourquoi pas une petite recherche "science-fiction" dans ma bibliothèque avec un critère de sélection "< x mot", une restriction "jamais marqué comme lu" et une option "shuffle" ? Cette requête (sauvegardable) sera ainsi capable de sortir de ma bibliothèque une nouvelle (que je l'aie stockée à l'unité ou en recueil) au hasard. Et si rien ne vient, pourquoi ne pas la transmettre à une librairie en ligne qui me suggèrera un achat immédiat ?
    Quid des annotations ? Plutôt que de blinder un livre de post-its, d'en corner les pages, de faire des surlignements, un système informatique d'annotations révisables et labellisable...
    L'auteur fait une référence qui m'intéresse ? Je peux chercher aussitôt des détails sur le net. J'ai l'impression d'avoir déjà vu cette référence ailleurs, ou j'ai une phrase qui me trotte dans la tête et je ne sais plus d'où elle vient ? Mes "livres" étant tous du "texte", rien ne m'empêche d'aller faire une recherche dans tous le "texte" de ma bibliothèque numérique pour retrouver dans quel fichier cela peut bien se trouver...
    Les possibilités sont immenses. Encore faut-il que les éditeurs s'en rendent compte et les mettent en oeuvre. Voilà pour le côté pratique et "ludique". ;)

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  2. Absolument. Plein de bonnes raisons pour passer au numérique.
    Après, oui, pour certains, l'aspect "tech nique" et peut-etre austère de la liseuse peut être rebuttant, mais les gouts et les couleurs, ça ne se critique pas.

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  3. Je suis d'accord. J'étais même surprise par les chiffres que me donnait ma calculatrice lorsque j'ai écrit notre "mission" (http://romancefr.com/mission) et voulu appuyer mes positions par des arguments concrets. 6 ebooks contre 6 livres grand format et ta liseuse est amortie.

    En même temps, je compare ce qui est comparable. Il faut arrêter de faire dire aux petits éditeurs indépendants qu'ils espèrent devenir aussi gros que les gros grâce au numérique. Survivre et pérenniser un projet, ce serait déjà un bon début.

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    1. Oui, survivre et péréniser est déjà un bel objectif, vous avez raison. Et j'espère que la plupart y parviendront, au moins ceux qui le font avec coeur et qui font de la qualité.
      Au moins le temps que le marché des ebooks arrive à maturité.

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